Comment je suis devenu athlète

Comment je suis devenu athlète

Nov 02, 2021

Une chronique où il est question d'un short moulant, de tours de piste et d'une mise à mort.

Il arrive un temps où, l’âge avançant, l’homme se prend à réfléchir à la vie qu’il a mené jusque-là (1) et frémit à l’idée d’en changer, d’être enfin fidèle à sa « vocation » profonde.

Ma nouvelle destinée a donc commencé mardi dernier au stade municipal, à 18 heures, sous des trombes d’eau, élégamment vêtu d’un short moulant et d’un t-shirt orange fluo. Après un premier demi tour de piste, ne voyant plus mes coreligionnaires (2), je crus l’entraînement terminé et me dirigeai, plié en deux et le souffle court, vers les vestiaires.

Mais à peine avais-je posé un pied à terre dans ce gourbi infâme et puant, qu’un retraité furieux, que j’avais aperçu quelques instants auparavant traîner mollement au bord du terrain, me rattrapa au col de mon maillot tout neuf et m’appris sa fonction : entraîneur.

Sans crier gare, et sans soucis de la concordance des temps, voilà qu’il me demande de « faire mes gammes ». Je pris alors ma plus belle voix de contre-ténor et commençai à chanter à tue-tête : « Do ! Ré ! Mi ! Fa ! Sol… !» (3) L’étalage de mes dons de solfège ne dût cependant pas plaire à ce joueur de mandoline car quelques secondes plus tard il me pourchassait avec un bâton, me forçant à lever haut les genoux et à battre rapidement des bras.

Au bout d’un quart d’heure d’un tel traitement, toute synchronisation entre mes membres inférieurs et supérieurs avait disparue. Ma légendaire démarche dansante et chaloupée s’était envolée et je m’en plaignis d’autant à mon tortionnaire que de plus en plus de jouvencelles se pressaient le long des barrières pour assister au spectacle.

En guise de spectacle, c’était plutôt à ma propre mise à mort à laquelle je participais. Car bientôt s’éleva face à moi — plus imposante et terrifiante qu’un échafaud dressé à l’entrée de la prison de la Grande Roquette — la terrible barre du saut en hauteur. Épargnons ici les âmes fragiles et indiquons seulement que toutes mes tentatives de ciseau ou de fosbury se terminèrent en une sorte de gâteau roulé avec le matelas de réception — une technique encore non homologuée à ce jour. Par désespoir, mon bourreau réussit bien à me faire sursauter, grâce à son pistolet, mais c’était largement insuffisant face à l’obstacle à franchir.

Soudain, des hourras montèrent des tribunes. Je vis alors arriver, trainé par des minimes rigolards, un gigantesque cheval d’arçon. En à peine le temps qu’il faut pour regarder la finale du 100 mètres à la TV, je pris mes jambes à mon cou et rentrai chez moi.

À mon arrivée, un podium m’attendait. Je venais de battre le record départemental du 1500 mètres en apnée, catégorie junior.


NOTES DE BAS DE PAGE :
(1) Une vie consumée dans les luttes stériles de l’homme aux prises avec la fierté du sang révolté, comme disait l’autre.
(2) Guère portés sur la chose littéraire, si vous voulez mon avis.
(3) Je connais la suite : « La ! Si ! Do ! »

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