Le sari indien : mode d'emploi

Le sari indien : mode d'emploi

Nov 12, 2021

Une chronique où il est question de mon arrière-grand-père, d'un moustique et du drapé de sari.

Pour qui s’intéressait un peu au continent indien et à la Basse-Normandie au début du siècle dernier, mon arrière-grand-père faisait figure de véritable maître. Dans les ruelles de Cherbourg, les gens le surnommaient même Charaka, du nom du dieu-serpent aux milles têtes, sans que l’on sache toutefois si cela tenait à ses dons en hindi ou au fait qu’il allait très régulièrement chez le coiffeur.

Ethnologue autodidacte et philosophe amateur, mon arrière-grand-père entretenait une correspondance fournie avec ses contemporains intellectuels et artistes (1), parlait fort et aimait donner son avis sur à peu près tous les sujets sans que personne ne lui ait rien demandé : bref, c’était « un homme du monde » comme on disait alors (2).

Vous imaginez donc la surprise qui régna au sein de la population locale quand, durant l’été 1910, mon arrière-grand-père débarqua sur l’île de Ceylan, amenant dans ses bagages le moustique Hemileia Vastatrix (3), qui allait bouleverser l’économie locale en ravageant les plantations de café (4), et des tripes à la mode de Caen, qui faisaient fuir jusqu’aux hommes les plus robustes.

Malheureusement le soleil tapait fort à son arrivée. À peine eût-il prononcé ses fameuses paroles (5), qu’il dut se réfugier à l’intérieur du caravansérail (6) le plus proche pour y demeurer jusqu’à la fin de son séjour, n’en ressortant que pour chasser les joueurs de tambourin qui avaient le malheur de vouloir exprimer leur talent dans un rayon de 50 kilomètres à la ronde.

C’est néanmoins dans l’ombre de ce refuge, et sous le regard ahuri des domestiques qui digéraient avec peine l’andouille du midi, que mon arrière-grand-père mit au point la technique soignée du drapé de sari. Technique qui fait aujourd’hui encore la renommée des femmes de ma famille et que je vous livre volontiers ici même :

  • Tout d'abord, pliez en deux une extrémité de l’étoffe rectangulaire en prenant soin de faire dépasser un triangle (7), que vous rabattez par-dessus bord, que vous glissez et placez dans le dos.

  • Deuxièmement, vous saisissez fermement les bords de devant, vous les serrez et les tordez d’un mouvement inverse à celui des aiguilles d’une montre (8). Le nœud fait, les pointes sont rentrées au niveau de la ceinture. Alors, l’autre extrémité du sari peut être passée dans le dos, remontée jusqu’à l’épaule droite (9) et ramenée devant.

  • Pendant ce temps, vous mettez en attente le pan le plus long autour du cou, sans vous étouffer. Pour ajuster les plis, il vous faut ensuite saisir la partie supérieure, la relever à hauteur d’aisselle et vous emparer des deux bords, de votre main gauche, pour glisser avec votre main droite les plis au niveau de votre abdomen.

  • Enfin, l’extrémité laissée en attente retombe sur vos genoux, les rayures placées au centre du corps (10).

A l’issue de toutes ces habiles manoeuvres, les bords du sari doivent former deux lignes rigoureusement obliques et parallèles. Si ce n’est pas le cas, déshabillez-vous et recommencez en utilisant la technique du rouleau d’essuie-tout. C’est moins élégant mais tout aussi efficace.


NOTES DE BAS DE PAGE :
(1) Qui ne lui répondaient presque jamais.
(2) Ménagère organisée, mon arrière-grand-mère n’avait pas besoin de tant d’espace.
(3) En réalité, il s’agissait d’un champignon. A l’époque, les moustiques ressemblaient beaucoup aux champignons.
(4) C’est ainsi que les Indiens commencèrent à boire du thé et devinrent un peuple civilisé.
(5) Tombées dans l'oubli depuis.
(6) Que l’on peut aussi écrire « كاروانسرا », mais c’est moins facile.
(7) Un triangle équilatéral, sinon vous ne vous en sortirez jamais.
(8) Vu de face.
(9) Vu de dos.
(10) Vu de biais, mais du bon côté.

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