Mar 14, 2022
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Je me suis désabonné de Netflix la semaine dernière. C’est étrange après tant d’années à profiter d’un service qui a vu sa marque élevée au rang de synonyme de ce qu’il incarne, au même titre que Kleenex ou Frigidaire. En poussant la réflexion sur ce qui m’avait amené à quitter la plateforme, je me suis demandé si nous n’assistions pas carrément au début de la fin de l’empire Netflix.
Avant d’aller plus loin, je tiens à être transparent. Je travaillais déjà sur ce texte à temps partiel depuis presqu’une semaine lorsque dimanche dernier, le toujours très pertinent Lucas Shaw de Bloomberg a partagé dans son infolettre hebdomadaire une analyse qui vient apporter des données en profondeur sur plusieurs éléments dont il sera question ci-dessous. Le but n’étant pas de répéter les mêmes choses, je vous invite fortement à consulter son texte en complément de ce que vous lirez ici, car nous partageons beaucoup des mêmes préoccupations. Je remettrai le lien à la toute fin du texte.
Revenons à Netflix.
Vous voulez des indices que ça ne va pas comme prévu au sein de l’entreprise? En plus de la hausse de prix récemment annoncée dans plusieurs pays, Netflix vient de nommer une quatrième personne différente à la tête de son marketing en trois ans. La semaine dernière, le responsable des finances n’a pas voulu exclure non plus le recours à de la publicité éventuellement. Depuis six mois, l’action a perdu plus de 40% de sa valeur.
L’explosion de l’offre concurrentielle, c’est seulement la pointe de l’iceberg. Ce qui est plus inquiétant, c’est que le modèle d’affaire qui a fait le succès de Netflix ne tient plus la route en 2022, et que l’entreprise semble avoir beaucoup de difficultés à s’adapter. Voyons d’abord ce qui a fait son succès :
1. Permettre aux utilisateurs d’écouter les séries en rafale, le bingewatching.
2. Investir massivement dans la production de séries / films / spectacles originaux.
3. Devenir une bibliothèque universelle inépuisable en achetant les droits de contenus externes.
4. Autoriser les gens à partager un abonnement.
Chez les concurrents, il y a eu une généralisation de la tendance à dévoiler les épisodes des séries au compte-goutte. HBO (sur Crave) a longtemps été l’exception d’une pratique du passé télévisuel qui s’est finalement normalisée en ligne un peu partout, sauf sur Netflix. Cette stratégie vise évidemment à prolonger notre abonnement jusqu’à la mensualité suivante de la carte de crédit (à moins d’avoir opté pour un forfait annuel). On nous a attiré avec l’option de bingewatcher, et on nous l’enlève maintenant pour nous forcer à rester sur une plateforme plutôt qu’une autre lorsque notre budget nous demande de faire un choix. L’utilisation du mot forcer est importante ici et j’y reviendrai plus loin.
Même si cela semble anodin, le fait de dévoiler les épisodes progressivement a une implication sur le choix des contenus financés. Les plateformes qui utilisent cette pratique ont avantage à investir dans des séries qui vont répondre aux exigences de ce modèle.
Chez les concurrents, on a compris que le financement des séries, fiction ou documentaire, doit assurément passer avant celui des films et des spectacles. On voit encore de ces « contenus à consommation unique » se greffer aux catalogues, mais je pense qu’avec le temps, ils seront de moins en moins nombreux, et surtout réservés à une liste d’artistes encore plus exclusive que ce que l’ont voit présentement. Il faut déjà être un nom au top dans son industrie (humour, télé, cinéma, musique, sport) pour avoir un « contenu à consommation unique » acheté par une plateforme.
Une partie du problème de Netflix, c’est donc que la plateforme dépense encore trop d’argent dans des contenus qui ne forcent pas les gens à rester abonnés (films, spéciaux, etc.) en plus de se faire l’apôtre du bingewatching en refusant de dévoiler ses contenus graduellement. Elle a également perdu depuis longtemps son titre de bibliothèque universelle puisque les droits qu’elle avait sur bon nombre de films et de séries classiques se sont éparpillés au fil de la montée en puissance de ses concurrents.
Parallèlement, prenons l’exemple d’Apple, qui s’est appuyée sur une diversification de produits déjà bien implantée pour entrer dans la danse. De toutes les plateformes auxquelles je suis abonné, Apple TV+ est sans aucun doute celle que j’utilise le moins souvent. Pourtant, c’est probablement celle de laquelle je ne me désabonnerai jamais. Mon abonnement à Apple TV+ se retrouve coincé au milieu d’un forfait qui regroupe aussi iCloud, Apple Music et Apple Arcade. Et je ne peux pas vraiment me permettre de jouer au yo-yo avec ces abonnements, surtout à cause de mon iCloud. Amazon utilise le même stratagème avec son service Prime. Les gros joueurs ont compris qu’ils pouvaient gruger dans les parts d’utilisateurs de Netflix s’ils arrivaient à forcer leur abonnement à l’aide de leurs autres produits.
Netflix a compris qu’elle doit revenir à la base et carrément diversifier ses champs de compétences pour assurer sa survie sur le long terme. La semaine dernière, elle annonçait sa deuxième acquisition de studio de jeux vidéos, cette fois en Finlande. Cette carte peut sembler à l’opposé de son ADN, mais c’est une façon de se coller aux pratiques de ses concurrents. La question, c’est de savoir s’il n’est pas déjà trop tard, puisque les résultats mettront plusieurs années à se faire sentir.
Il reste le dernier point, celui du partage des abonnements. Pour jouer au yo-yo, encore faut-il que tous les utilisateurs d’un abonnement s’entendent pour quitter la plateforme d’un seul coup. Ce qui pouvait être perçu comme une faille par le passé constitue aujourd'hui une sorte de frein à un exode définitif vers les concurrents. Il n’y a nul doute que les pertes de Netflix seraient encore plus considérables à l’heure actuelle si ce n’était du partage des abonnements.
Faisons maintenant un petit détour par la scène locale.
Il y a quelques années au Québec, on a fait grand bruit de l’appel de projets que Netflix a fait auprès des producteurs de la province. Au final, cette opération séduction a donné très peu de résultats. On parle du film Jusqu’au déclin, de quelques spectacles d’humour, et surtout d’acquisitions de contenus produits pour d’autres diffuseurs ou pour le cinéma. Plusieurs ont trouvé que c’était bien peu (avec raison), mais avec du recul, ce fut peut-être un mal pour un bien.
Pendant que Netflix s’est retrouvée coincée entre une guerre planétaire avec les plus gros joueurs du web et un changement de stratégie avec ses acquisitions, les acteurs de la scène locale (Bell, Québécor, Radio-Canada) ont mis les bouchées doubles. Le rachat de V (devenue Noovo) par Bell a même fait monter l’offre autant en termes de quantité que de qualité.
Il ne s’est jamais autant produit de bonnes séries au Québec, et ce sont les spectateurs d’ici qui sont aujourd’hui gagnants du manque de volonté de Netflix à s’implanter davantage dans la province. Serez-vous encore abonné à Netflix dans cinq ans? Je ne serais pas prêt à parier là-dessus. Se fera-t-il encore autant de bonnes séries au Québec dans cinq ans? J’aurais tendance à croire que oui.
Ce qui a mis le clou dans le cercueil et concrétisé mon départ de Netflix, c’est la qualité du contenu, qui a beaucoup diminué dans la dernière année selon moi. Difficile de dire s’il s’agit d’un passage à vide ou d’une tendance à long terme, car le contenu arrive toujours à retardement vu les délais de production. Le facteur pandémie est certainement aussi à prendre en considération.
Je vais certainement me réabonner de temps en temps à Netflix pour écouter une nouvelle saveur du mois, mais je ne vois absolument rien à l'horizon qui pourrait me forcer à rester abonné à long terme.
Pour lire l’infolettre de Lucas Shaw de Bloomberg, c’est par ici.
Photo : capture d'écran de la page d'accueil de Netflix.
