La méta-chute du titre de Facebook en bourse a un peu changé mes plans pour mon texte de blogue hebdomadaire. Car oui, je me suis donné comme objectif d’écrire (au moins) un texte par semaine et cette fois-ci, je pensais ressortir le réal-cinéphile en moi. Je me dirigeais vers une analyse du genre « biopic » à travers les films d’Aaron Sorkin. Un sujet qui aurait sûrement intéressé… beaucoup moins de gens.

Ce sera pour une prochaine fois, car il me reste quelques films à (re)visionner, et parce qu'un autre sujet a attiré mon attention dans l'actualité. Jeudi dernier, Facebook (rebaptisé « Meta Platforms » depuis l’an dernier) a dévoilé ses résultats trimestriels, et en moins de temps qu’il n’en faudrait à Luc Langevin pour crier Abracadazuckerberg, 230 milliards de dollars US ont disparu de sa valeur boursière. Wow!

Pas plus tard qu’en fin de semaine dernière, je réécoutais l’excellent film de 2010 The Social Network réalisé par David Fincher et justement scénarisé par Aaron Sorkin (d’où mon idée d’écrire sur le scénariste). Pourquoi ce film? Netflix était sur le point de le retirer de sa plateforme.

Comme pour tous les films de Sorkin (je vous promets que j’ai bientôt fini avec lui), il faut fouiller pour savoir quelle sont les parts de vérités et de prétextes dramatiques inventés. Dans The Social Network par exemple, toute la prémisse qui base la création de la plateforme sur une pseudo-vengeance face à une rupture mal digérée par Zuckerberg est complètement fausse. Le personnage d’Erica Albright (interprété par Rooney Mara) que l’on nous présente dans la scène d’ouverture n’a jamais existé. D’où l’importance de « faire ses propres recherches » avec Sorkin (j’ai fini avec lui), pour reprendre une expression à la mode.

Par contre, l’une des choses que l'on retrouve dans le film et qui s’avère toujours être d’actualité, c’est la confrontation du discours d’Eduardo Saverin (co-fondateur de Facebook) qui veut monétiser rapidement la plateforme après sa création, alors que Mark Zuckerberg prônait plutôt de prendre plus de temps afin de comprendre ce que deviendrait Facebook. Dix-huit ans plus tard, avec le Métavers, Zuckerberg se retrouve dans une sorte de position inverse à celle qu’il a vécue avec Facebook. Heureusement pour lui, ses moyens ont aussi considérablement changé.

En suivant sa devise qui dit Move fast and break things, Zuckerberg a toujours eu la main relativement heureuse. Il n'a pas eu à trop se soucier de la compétition jusqu’à récemment avec les Tik Tok et autres concurrents sérieux qui attirent les plus jeunes. On pourrait certainement en débattre, mais il m’est d’avis en rétrospective que la compétition de Facebook avec MySpace n’en a jamais vraiment été une. L’empire de Zuckerberg a grandi au rythme de ce qui était « cool parce que c’était cool » avant de savoir de quelle manière ce serait utile à Facebook.

Instagram? Achetée à vitesse grand V pour la somme astronomique (à l’époque) d’un milliard de dollars. Autant d’argent pour une simple application de photo avec des filtres rétros? Vraiment? Qu’à cela ne tienne : move fast and break things. Les lunettes de réalité virtuelle Occulus? Même chose, pour 2 milliards. WhatsApp? 4 milliards en argent, 12 milliards en actions. Etc.

Aujourd’hui, l'application Instagram rapporte à elle seule plus de 50% des revenus publicitaires de Meta (Facebook) avec des revenus de 24 milliards de dollars en 2020 seulement. Pas mal pour une application qui a coûté un seul petit milliard de dollars à l'époque.

Moved fast and broke « le compte de banque », I guess!

Je fais une parenthèse. Les acquisitions de Facebook me font penser au Monopoly. Une stratégie pratiquement infaillible au Monopoly consiste à s'endetter au maximum en début de partie pour acheter le plus de terrains possibles même si vous n'y construisez rien et ce, simplement afin de rendre les terrains inaccessibles aux autres joueurs. Impossible de construire des maisons et des hôtels sur des terrains s'il n'y a plus de terrains à vendre, et la banque n'est pas trop regardante sur les intérêts hypothécaires des terrains au Monopoly. Fin de la parenthèse.

La situation est un-peu-pas-mal-beaucoup plus complexe avec le Métavers.

Dans le coin bleu, vous avez Meta (Facebook). On pourrait aussi y mettre les concurrents Snapchat, Tik Tok et les autres qui tirent également leurs revenus des publicités ciblées.

Dans le coin blanc, vous avez Apple qui fournit l'un des appareils mobiles sur lesquels on consomme majoritairement les plateformes du coin bleu, le iPhone. L’an dernier, Apple a modifié ses règles afin de limiter les données auxquelles les applications ont accès pour générer leurs revenus publicitaires. Ces revenus ont été amputés, et cela est en partie responsable des chutes boursières auxquelles on a assisté dans le secteur des technos au cours des derniers mois. On continue...

Dans le coin rouge, vous avez un adversaire intriguant, Roblox, qui offre déjà ce que l’on considère comme des formes de Métavers embryonnaires sur tous les appareils. En plus, Roblox paye déjà les créateurs d’univers de sa plateforme, ce qui est drôlement attrayant.

Dans les autres coins de toutes les couleurs qui restent dans la palette Pantone, vous avez les autres très nombreuses entreprises qui travaillent sur des technologies et formes d’intelligences artificielles que l’on pourrait également retrouver au cœur du Métavers. Pour la première fois, Zuckerberg est en guerre sérieuse contre des compétiteurs qui pourraient lui voler sa place prédominante. Lorsque Facebook a été créée au milieu des années 2000, c'est plutôt elle qui a fait à MySpace ce qu'Internet Explorer avait jadis fait à Netscape. (Ou Yahoo à Altavista si vous préfèrez!)

Puis du jour au lendemain, l’an dernier, Facebook a changé de nom. Lorsque Zuckerberg a décidé de changer la maison mère pour Meta Plateforms, c’est un peu comme s'il avait acheté un local de restaurant vide et qu’il avait décidé d’y installer une enseigne qui dit : Le meilleur steakhouse au monde avant même d'ouvrir le resto. Vous avez beau appeler votre restaurant de cette manière, ça ne garantit en rien que vous serez capables d'y servir « le meilleur steak au monde ».

C’est encore plus vrai si, par exemple, le local que vous avez loué est directement face à celui du nouveau local de Moishe’s à Montréal (qui rouvrira enfin à l'automne cette année)! Dans cet exemple, Moishe’s pourrait être joué par Roblox.

En affichant votre enseigne même si le resto n’est pas encore ouvert, vous prenez le pari qu’entre les deux restaurants, les gens viendront au vôtre simplement parce que c’est écrit sur l’enseigne que votre resto est « Le meilleur steakhouse au monde ». Et ce, même si Moishe’s s’est déjà retrouvé dans le top 10 des meilleurs steakhouse de la planète pour vrai.

C'est une autre sorte de Move fast and break things. Ça prenait quand même un certain culot pour rebaptiser la compagnie mère Meta Platforms et tenter de vendre (aux utilisateurs, mais surtout aux investisseurs) quelque chose qui n’existe pas encore. Comme une vente de condo sur plans, mais les plans ici ne sont pas tout à fait clairs pour tous les acheteurs potentiels.

Dans son communiqué suite aux résultats trimestriels, Zuckerberg répète qu'il souhaite que la création du Métavers se fasse avec d'autres collaborateurs. Un réel élan d’ouverture? On peut se permettre d’en douter. Ça sent plutôt l'urgence d'agir et la peur de se faire doubler par un concurrent dans le coin Pantone de votre choix. Pour reprendre l'exemple du restaurant, il dit qu'il a l'ambition de faire le meilleur steakhouse au monde à côté de chez Moishe's, et il demande même aux autres chefs de l'aider à y arriver. Bref, Facebook est engagée dans une course où elle ne peut plus reculer. Pour citer le personnage de Richard Hammond dans Jurassic Park, Zuckerberg est en train de « dépenser sans compter », d’où la chute boursière de cette semaine.

En achetant Occulus, Zuckerberg possède également une partie importante du casse-tête : un morceau de l’équipement. Un élément qui devrait lui éviter d’être aussi dépendant des règles imposées par Apple sur le iPhone lorsque viendra le temps de monétiser le dit Métavers.

On criait au ridicule lorsque Facebook a acheté Instagram pour un milliard de dollars. On criait à la démesure en lisant à la fin de The Social Network que la valeur de Facebook atteignait 75 milliards en 2010. Aujourd'hui, il ne faut pas crier trop vite à la mort de Facebook même si la valeur de Meta Plateforms a chuté de 230 milliards en un claquement de doigts.

La bourse a souvent tendance a réagir comme un enfant unique qui vient de se faire retirer un jouet et qui veut tout démolir dans sa salle de jeu pour protester. Il y aura des dommages collatéraux, mais les choses finiront par se placer. Un jour, on aura l’occasion de constater par nous-mêmes si le Métavers de Facebook est digne du meilleur steakhouse au monde.

D’ici là, j’aurai sûrement le temps de vous reparler d’Aaron Sorkin!

Photo : capture d'écran du titre de Meta Platforms sur l'application Yahoo Finance.